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En attendant la martre

Il y a quelques années, suite à la projection d’un de ses films sur la faune de montagne, j’ai discuté avec mon ami Vincent, d’une scène spécialement touchante où l’on voit des jeunes martres guigner aux loges d’un vieux hêtre. Mon envie devait être palpable pour qu’il me propose une invitation, si les martres venaient à se réinstaller. Je me suis réjouis et puis j’ai oublié, jusqu’au coup de fil reçu la semaine dernière pour m’annoncer que l’arbre semblait occupé cette année ! Le lendemain, en fin d’après-midi, nous nous retrouvons dans le Jura, sous la pluie. Vincent m’amène sur le site, mais ne restera pas. Il va manger dans une auberge d’alpage avec son amie et me propose de les rejoindre à la nuit, pour le café.

Je m’approche de l’arbre et installe rapidement mon affût dans la pente en surplomb, pour avoir les deux cavités contigües, dans ma ligne de mire. Une troisième cavité se situe derrière le tronc. Ce sont les trois entrées d’une même loge.

17 h. La pluie a cessé et j’attends immobile, en essayant d’évacuer de ma tête toutes sortes de pensées qui m’encombrent et m’empêchent d’être pleinement dans le présent. L’air est pur et la lumière est très belle. J’entends les sonnailles des vaches qui paissent dans le pâturage plus bas.

18 h. L’attente continue. Un avion a passé haut dans le ciel et une vache a poussé un beuglement poussif. Une mouche tourne maintenant à l’entrée de la cavité. Il y a sans doute des restes de nourriture à l’intérieur !

18h15. Les deux loges que je scrute depuis un moment me font soudain penser à des yeux. Je vois maintenant une sorte d’éléphant à la peau plissée et grise comme l’écorce du vieux fayard. Le fût qui descend vers le sol évoque une trompe. Je dessine ce masque qui semble m’observer.

19h30. Les cris alarmés d’une grive retentissent dans la forêt. Elle insiste, se déplace et devient comme  hystérique !  Elle semble poursuivre en criant l’objet de sa crainte. Tous mes sens sont en alerte, je scrute les alentours…car je crois très bien comprendre ce qui se passe. La martre est sortie de la cavité que je ne peux pas voir d’où je me situe !

19h45. Tout est redevenu calme.

20h. Une subite rafale de vent bouscule mon affût. Le tonnerre gronde au loin. La pluie se met à tomber, à nouveau et de plus en plus fort.

21h15 la pluie cesse, le jour décline. J’entends à nouveau les cloches des vaches qui se sont tues lors de l’averse. Les branches gouttent.

22h. La nuit a tout enveloppé. Je ne vois plus le masque et me décide à quitter les lieux.

Pas d’observation du mustélidé, mais la présence d’une mouche sur le bord de la loge et les cris affolés d’une grive me donnent plein d’espoir et l’envie de revenir pour observer la tête d’une petite martre dans l’œil d’un vieil éléphant…