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La parade rêvée du grand tétras

Pour un naturaliste, le mois de mai est toujours un peu compliqué, tant les sollicitations sont nombreuses. Les derniers oiseaux migrateurs comme le coucou et le loriot viennent d’arriver et prennent possession d’un territoire, en nous gratifiant de leurs chants si beaux, tandis que d’autres espèces couvent ou nourrissent déjà leurs petits. Les petits mammifères sont nés et tètent goulûment, les insectes et les batraciens s’activent, tandis que la floraison explose. Les arbres ont maintenant leurs feuilles, offrant à nos regards une harmonieuse gamme de verts dans les frondaisons. De la forêt aux marais, des champs à la ville,  la vie sauvage bat son plein : ça chante, ça bourdonne et ça siffle partout.

Il n’en est pas de même dans les vieilles forêts du Jura, où  le printemps peine à s’imposer, car les retours de froid et de neige sont fréquents. Les manifestations qui annoncent le point de bascule vers la saison nouvelle sont parcimonieuses et discrètes, mais d’autant plus spectaculaires qu’elles se déroulent dans un environnement qui conserve les stigmates de l’hiver.

Voici le temps de la parade du grand tétras.

J’ai passé des semaines entières, ces dernières années, à étudier cet oiseau discret, dans les forêts du Jura aussi bien que dans celles du nord de l’Europe. Les affûts ne sont pas toujours faciles, car ils prennent du temps, de l’énergie et l’observation n’est jamais garantie, mais c’est le prix à payer pour avoir la chance d’assister à un spectacle aussi sauvage que somptueux. Chaque année dès que le mois de mai se profile, je pense aux tétras et dans la mesure du possible, j’essaie d’organiser au moins une tentative d’affût. Il se trouve que cette année, les conditions météo et mon emploi du temps ne me permettront sans doute pas d’y aller …

En m’endormant ce soir dans mon lit, je pense à ce que pourrait être mon réveil du lendemain dans mon sac de couchage, bien caché dans l’affût.

Les taches pâles des névés bleutés dans la clairière encore sombre. La bécasse invisible qui passe en vol, émettant un « puit » métallique précédé de petits grognements. L’attente dans l’air cru du matin. Un thé fumant dans le gobelet du thermos qui réchauffe ma main engourdie.

Les curieux sons du coq branché dans un hêtre : « Telep » « Telep » « Telep », avant le chant des premières grives. Le bruit des ailes de l’oiseau qui descend au sol et que je ne vois pas encore.

La silhouette tant attendue du coq qui se pavane en faisant la roue et dont on devine la tache blanche du poignet dans la nuit. Et avec un peu de chance, comme cela m’est déjà arrivé,  une poule et un coq qui passent à un mètre de l’affût…